Le Québec compte son lot de familles séparées. Près du tiers de ses enfants de 0 à 14 ans vivent sans leurs deux parents sous le même toit[1]. Si la résidence chez la mère reste l’option la plus choisie, la garde partagée prend du galon dans la province. Qu’en pensent les Québécois? Quelle est la meilleure option selon eux? Si la garde partagée est en effet très populaire, des divergences existent tout de même au sein de la population. Et vous, pour quel type de garde êtes-vous favorable?
C’est la question à laquelle une équipe de l’Université Laval tente de répondre. Élisabeth Godbout, Marie-Christine Saint-Jacques et Hans Ivers analysent les résultats d’un panel web auquel 1202 Québécois de 18 ans et plus ont répondu. Leur but : déterminer l’opinion des Québécois et Québécoises face aux différents types de garde d’enfants après une séparation. Cette étude leur permet de créer quatre groupes de répondants : les égalitaires, les égalitaires nuancés, les naturalistes et les développementaux.
Maman, papa, les deux?
Où les enfants devraient-ils vivre après une séparation? Posez la question au Québec et la réponse sera probablement : chez ses deux parents! Une nette majorité se range derrière la garde partagée, peu importe l’âge de l’enfant… ou presque. Pour les tout-petits de 0 à 2 ans, 61% jugent qu’ils devraient vivre auprès de leur mère.
Graphique 1. Opinion sur les modalités idéales de garde des enfants après la séparation en fonction de l’âge
Grâce aux réponses recueillies, les chercheurs identifient certains groupes dans la population dont les opinions se ressemblent davantage. Quatre groupes paraissent avoir plusieurs similarités, et regroupent la majeure partie de l’opinion québécoise sur la question de la garde partagée.
Et vous, êtes-vous plutôt…
Égalitaire?
C’est le groupe le plus présent, représentant 60% des répondants. Ceux-ci croient que la garde partagée devrait prévaloir, indépendamment de l’âge ou du sexe des enfants. Ils valorisent le rôle des pères et croient que ces derniers demandent la garde partagée pour voir leur enfant plus souvent. Ce groupe comprend une plus grande proportion de 18-34 ans, tandis que les plus âgés y sont peu représentés. Ils sont moins nombreux à être eux-mêmes séparés, ce qui peut s’expliquer en raison de l’âge.
Égalitaire nuancé?
Avec un répondant sur quatre, ce profil est tout de même assez présent. Les égalitaires nuancés croient aussi fortement en la garde partagée… Sauf pour les enfants d’âge préscolaire qui devraient vivre auprès de leur mère. La proportion de jeunes de 18-34 ans est moins élevée dans ce groupe.
Naturaliste?
Avec un peu plus de 10% des répondants, ce groupe croit aux rôles traditionnellement associés aux hommes et aux femmes. Les mères devraient avoir la garde des enfants, sauf pour les garçons de 13-17 ans, qui devraient plutôt vivre chez leur père. Il croit plus que les autres que la garde partagée de l’enfant est demandée pour des raisons individualistes, comme avoir plus de temps pour soi. La proportion des familles monoparentales est surreprésentée dans ce groupe, à environ 33% comparativement à 10-15% pour les autres groupes.
Développementale?
Ce profil, qui comprend un répondant sur vingt, a tendance à suivre le stade de développement de l’enfant pour juger où ce dernier devrait vivre. La résidence maternelle est privilégiée pour les 0-5 ans, puis la garde partagée prend le relais pour les 6-12 ans. À l’adolescence, ce profil juge que les enfants devraient vivre avec le parent du même sexe, donc les filles avec les mères et les garçons, chez les pères! Bien que ce groupe soit plus petit, les hommes y sont proportionnellement plus représentés.
Le choc des générations
Pour les plus jeunes répondants, pas de doute : la garde partagée, c’est pour tous. Leurs concitoyens plus âgés voient les choses différemment, et sont plus nuancés dans leurs réponses. Est-ce que la génération plus jeune est plus égalitaire? Peut-être, selon les chercheurs. Plus sensibilisé aux notions d’égalité homme-femme, ce groupe peut avoir un esprit plus ouvert en ce qui concerne le partage des tâches.
Mais avant de sauter aux conclusions, d’autres éléments peuvent expliquer cette disparité. Les auteurs remarquent entre autres que peu de jeunes sont séparés et ont des enfants. Serait-ce alors plus facile d’être pro-égalitaire dans cette situation? Les chercheurs soulèvent la question…
Les répondants de 35 ans et plus ont tendance à avoir une vision plus traditionnelle du rôle des parents. C’est particulièrement vrai avec les poupons, pour lesquels la plupart des répondants plus âgés estiment qu’ils devraient vivre chez leur mère.
Les hommes et les femmes ont aussi leurs différends concernant la garde partagée. Les deux sexes s’accusent mutuellement d’être plus individualistes que l’autre. Les mères, égoïstes? Les pères, proches de leur argent? Chaque groupe a tendance à pointer davantage l’autre du doigt!
Des choix tranchés
Comment choisir chez qui vivra l’enfant? Les Québécois s’entendent à nouveau : les compétences parentales devraient être la priorité, selon près de 70% des répondants. La raison qui vient tout de suite après? Le droit des parents de voir leur enfant, selon 35% des répondants. Cette affirmation fait sourciller les auteurs. C’est plutôt l’intérêt de l’enfant qui est pris en considération pour choisir qui aura la garde du petit, et non les droits des parents. Une partie de la population pourrait ne pas trouver « juste » la décision émise par un juge à cet égard.
Pourquoi les ex-conjoints demandent la garde partagée pour leur enfant? Les Québécois sont nombreux à croire que le bien-être de l’enfant passe en premier. Permettre à son enfant de voir ses deux parents de façon équitable serait la principale raison des mères pour près de 70% des répondants, et des pères pour 60%. Les raisons plus individualistes sont bien moins populaires. Garder du temps pour soi serait la principale raison pour un peu moins de 20% des Québécois. Les raisons financières sont en queue de peloton, mais les Québécois sont plus nombreux à penser que cette raison est davantage valable pour le père (15%) que pour la mère (7%).
La surprise de la garde partagée
L’appréciation marquée de la population québécoise pour la garde partagée surprend les chercheurs. Contrairement à la France ou à la Belgique, le Québec n’a pas de loi pour encadrer la garde partagée. Aucun changement significatif, ni dans les lois ou dans la société, n’est survenu pour justifier ce penchant dans la population. Cette différence entre l’opinion publique et la loi, laquelle ne favorise aucune garde en particulier, peut poser problème, croient les chercheurs. Et si les décisions légales allaient contre la volonté de la population? Un changement dans le droit familial serait plus que bienvenu pour mieux refléter les opinions de la société.
[1] https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2016/as-sa/98-200-x/2016006/98-200-x2016006-fra.cfm