Le domaine de la biologie n’est pas épargné par les avancées technologiques. Les techniques de procréation ont évolué et facilitent aujourd’hui l’accès à la parentalité. Suivant la mouvance et voyant l’augmentation de leur utilisation, le Québec décide d’adopter la Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation en 2002. Deux femmes peuvent maintenant être directement reconnues comme parents de l’enfant dès sa naissance. Elles doivent malgré tout requérir un donneur de sperme pour mener à bien leur projet parental. Pour ce faire, elles ont le choix : faire appel aux services d’une clinique de fertilité ou demander à une connaissance de leur faire un don de sperme. Ce dernier est alors appelé un « donneur connu ».
« La première fois, tout le monde était un peu inconfortable (malaisée), tu comprends… La deuxième fois… c’était un peu plus relaxe, la glace était brisée, mais ça reste que c’est pas idéal… Un de tes meilleurs amis te donne son sperme dans un petit pot ». (Traduction libre)
– Rebecca, mère de trois enfants, dont un qu’elle a porté.
Quelle est cependant la relation qu’entretiennent le couple lesbien et le donneur connu? Comment se définit le rôle de ce dernier après la naissance de l’enfant? C’est à ces questions que les chercheurs Isabel Côté et Kévin Lavoie ont voulu répondre en interrogeant des couples de mères qui ont eu recours au service de donneurs connus, ces mêmes donneurs et les partenaires de vie de ces donneurs. Au total, 20 mères (10 couples), 11 donneurs et 5 conjoints de donneurs ont participé à l’étude. Les chercheurs ont compilé les réponses des participants et les éléments importants de l’entente qui avaient fait l’objet de discussions entre les parties lors des rencontres préalables au don.
Des rencontres tout sauf romantiques
Peu importe que le donneur de sperme et les futures mères se connaissent peu ou beaucoup : les rencontres préparatoires sont très importantes pour encadrer la relation qu’ils développeront lors du processus. Elles vont être à l’origine du « contrat de procréation » et sont donc déterminantes pour la suite des événements. Plus précisément, elles garantissent que la relation entre le donneur et les mères ne soit pas compromise, malgré les possibles embûches. Les parties discutent alors de plusieurs éléments, tels que leurs motivations et leurs attentes, mais aussi de ce qui se passera après la naissance. La finalité de ces rencontres sera bien souvent de déterminer quel sera le rôle du donneur dans la vie de l’enfant.
Le don : facile à imaginer, plus difficile à exécuter
Un don de sperme n’est pas nécessairement le résultat d’une relation sexuelle. En effet, les mères lesbiennes interrogées dans le cadre de cette étude ont toutes procédé par insémination artisanale, qui consiste à faire l’insémination à la maison sans assistance médicale. Il faut savoir que les conséquences juridiques ne sont pas les mêmes selon qu’il y ait eu relation sexuelle ou pas. Dans le cas d’une relation sexuelle, le donneur a la possibilité de réclamer sa paternité lors de la première année de vie de l’enfant. Sous un autre angle, la relation sexuelle avec un homme peut aussi ne pas être une option pour une femme lesbienne. Malgré ce que l’on pourrait croire, le don de sperme n’est donc pas un acte facile et évident, pour les donneurs comme pour le couple. Il s’agit d’un moment qui est exigeant et très prenant. En dépit de la volonté des deux parties, l’ovulation reste un phénomène biologique qui ne peut être contrôlé.
Un engagement qui implique plusieurs personnes
Il va sans dire que, pour les donneurs, leur choix a des conséquences importantes sur leur vie. Malgré tout, plusieurs étaient prêts à recommencer! D’ailleurs, pour certains, c’était déjà prévu. Un tel engagement à long terme a nécessairement un impact sur leur relation amoureuse. L’un d’entre eux mentionne avoir mis un frein à sa vie amoureuse pendant cette période :
« Je n’ai pas eu de rendez-vous parce que, bizarrement, je sentais une réticence psychologique à l’idée de rencontrer quelqu’un. » (Traduction libre)
– Marc, donneur
Un tel choix peut se comprendre par l’implication physique et psychologique des donneurs dans le processus. Pour ceux ayant déjà une relation amoureuse, certaines conséquences peuvent se ressentir à la maison. Il est possible de penser que l’implication conjugale et familiale du donneur est nécessairement impactée par le poids physique et psychologique du don. C’est d’ailleurs ce que l’on peut implicitement comprendre du témoignage de Mylène, la conjointe d’un donneur qui a changé d’idée quant à l’implication de son conjoint après être tombée enceinte :
« Nous nous sommes dits, « Dès que nous avons le nôtre, c’est assez » […] C’était clair pour nous, dès que nous avions notre propre famille mon conjoint ne ferait plus de don. » (Traduction libre)
A contrario, l’implication du conjoint ou de la conjointe du donneur peut aussi avoir un impact positif sur le déroulement des événements. Certains partenaires de vie ont en effet décidé de prendre part au processus en étant l’intermédiaire entre le donneur et les couples, entre le don et l’insémination. Puisque ce n’est pas tout le monde qui est à l’aise avec l’aspect sexuel du don, leur soutien peut à ce moment-là aider à réduire la gêne occasionnée par l’aspect sexuel:
« Parce que j’étais impliquée et que je prenais part au processus décisionnel et aux discussions, ça éliminait tout embarras. Ça enlevait l’aspect sexuel que l’on pourrait, à tort, associer à sa contribution. Ça retirait effectivement la sexualité de l’équation. » (Traduction libre)
– Sabrina, conjointe d’un donneur
Plusieurs donneurs considèrent aussi que leur décision pourrait aussi affecter d’autres membres de leur entourage, particulièrement leur mère. Bien souvent, cette dernière aspire à pouvoir tenir un petit-enfant dans ses bras. Étant conscients de ce désir, certains donneurs demandent aux couples de laisser leur mère rencontrer l’enfant. Pour d’autres, c’est l’opposé : hors de question que leur mère ait une quelconque interaction avec le nouveau-né, et qu’elle se projette comme sa grand-mère. Bien que les donneurs soient à l’aise de ne pas assumer de responsabilités parentales, ils sont tout de même conscients et sensibles au fait qu’un tel choix ne sera pas nécessairement vu de la même manière par leur entourage.
Donneur, mais pas nécessairement papa
L’un des grands points de discussion est sans contredit le choix de mot pour désigner le donneur et son rôle. Ce choix, qui peut sembler anodin, impacte aussi bien le rôle que les mères veulent qu’il joue dans la vie de l’enfant, que sa propre conception de son rôle et de son implication future. Par exemple, seulement deux familles ont décidé d’utiliser le terme « papa » pour désigner le donneur. Les donneurs sont d’avis que ce choix de mot souligne l’importance de leur rôle dans la vie de l’enfant.
Le terme utilisé pour parler du donneur est donc lourd de sens. C’est d’ailleurs pourquoi plusieurs mères, ainsi que plusieurs donneurs, ne veulent pas identifier ce dernier en tant que père. Tout d’abord, ce n’est pas le rôle qu’ils conçoivent pour lui. Ensuite, la question de la représentation sociale est très importante. Traditionnellement, notre conception de la famille se limite à deux parents. Plusieurs mères non biologiques refusent d’utiliser le terme « père », car elles craignent que la société identifie le père biologique comme parent, plutôt que de reconnaître leur rôle auprès de l’enfant. Une problématique que partagent certains conjoints et certaines conjointes des donneurs.
Sans confiance, pas d’entente
La confiance est maîtresse d’une entente conclue. En effet, aux yeux des participants et participantes, le lien de confiance occupe une place plus importante que le droit qui régit la procédure. Plusieurs questions peuvent se poser quant aux relations qui unissent les donneurs et les mères. Par exemple, bien que les donneurs passent un test de dépistage d’infections transmises sexuellement, on ne peut assurer la validité du résultat après que ce dernier ait passé le test. Les mères doivent alors se fier à sa parole quant à ses activités sexuelles post-test.
La confiance fait également partie de certaines ententes de procréation lorsque les deux parties prévoient que les enfants soient confiés au donneur en cas de décès des mères. Sur les quatre donneurs pour lesquels ce scénario a été envisagé, la décision a parfois été basée sur la relation biologique du donneur et de l’enfant, mais aussi sur les valeurs humaines et éducatives que le donneur et les mères partageaient.
À une autre échelle, plusieurs mères se déclarent ouvertes à l’idée de redéfinir le rôle du donneur lorsque l’enfant devient adolescent ou adulte. Une idée fortement partagée par les donneurs, qui mentionnent être prêts à accueillir l’enfant en cas de besoins, avec le consentement des mères et dans le but d’aider l’enfant. Si une telle ouverture d’esprit ne nécessite pas une grande confiance envers le donneur, qu’est-ce qui peut le faire!
Une option intéressante, mais nécessairement différente
Faire appel aux services d’un donneur de sperme connu vient avec son lot d’avantages, mais aussi de contraintes. Choisir ce mode de procréation assistée, c’est accepter l’intervention physique — mais aussi psychologique dans certains cas — d’une autre personne que les mères dans le processus de procréation. Partant de cette prémisse, le don de sperme ne saurait être un simple don de gamète désincarné. Une telle implication du donneur éveille des questionnements quant à sa reconnaissance. Pour les mères non biologiques des enfants, elles peuvent craindre une perte de leur statut parental au profit du donneur, qu’elles perçoivent alors comme une menace, d’où l’importance des rencontres préalables au don. Cette crainte est due, en partie, à notre conception biparentale de la famille. Une réflexion sur la pluralité des modèles familiaux permettrait peut-être de mieux reconnaître la diversité familiale et ainsi réduire éventuellement ce stress.