Chez les peuples autochtones, l’adoption d’un enfant par des proches, comme les grands-parents, la fratrie ou des amis, est fréquente. Cette adoption, dite « coutumière », peut être permanente, temporaire, réversible et varie d’un peuple autochtone à l’autre.
Jusqu’à tout récemment, cette forme d’adoption n’était tout simplement pas légale au Québec. En 2017, le vent tourne : Québec adopte le projet de loi 113 après des années de travail entre les Premières Nations et le gouvernement. Il modifie le Code civil du Québec et reconnaît l’adoption coutumière. Ce changement répond aux difficultés engendrées par l’absence de reconnaissance juridique des enfants adoptés selon les coutumes autochtones[1].
Quelles sont les différences entre l’adoption coutumière et l’adoption plénière? Quels changements ont été apportés au Code civil pour en tenir compte?
Robert Leckey, professeur et doyen de la Faculté de droit de l’Université McGill, cherche à répondre à ces questions. Son objectif : faire le point sur la reconnaissance de l’adoption coutumière et sur ses limites, en se basant sur les écrits et les textes de droit qui abordent le sujet. Plus particulièrement, il se penche sur les enjeux à prévoir à la suite de la légalisation de l’adoption coutumière.
L’adoption coutumière : un éventail de possibilités
L’adoption coutumière, une rupture avec la famille d’origine? Pas tout à fait. Chez les Innus et les Atikamaekw[2], des parents peuvent confier leur enfant à des membres de la famille élargie pour qu’ils en prennent soin, tout en conservant leur lien de filiation avec celui-ci. Une telle situation peut survenir lorsque les parents d’origine doivent s’absenter, par exemple pour le travail. Il arrive également que l’adoption crée de nouveaux liens de filiation entre l’enfant et sa famille adoptive, sans toutefois rompre les liens avec la famille d’origine. Résultat : l’enfant a alors plus de deux parents.
Selon des chercheurs abordant le contexte innu, l’adoption coutumière est beaucoup plus fluide que l’adoption régulière québécoise, aussi appelée plénière. Au lieu de survenir à un moment déterminé, les liens entre l’enfant et sa nouvelle famille se créent plutôt graduellement.
Le Code civil trop rigide face aux coutumes autochtones?
Un bémol important : le Code civil prévoit uniquement la reconnaissance des adoptions coutumières qui créent un lien de parenté entre l’enfant et son parent adoptif. De plus, une fois l’adoption prononcée par un juge, elle ne peut pas être annulée, alors que l’adoption coutumière est en principe réversible. Les parents biologiques perdent alors leurs droits et sont libérés de tout devoir envers l’enfant. Voilà qui est peu représentatif de la diversité des formes d’adoption coutumière!
« La reconnaissance de liens préexistants de filiation, même lorsqu’elle est mentionnée sur un certificat d’adoption coutumière, n’est que symbolique. » (Robert Leckey, professeur de droit à l’Université McGill)
Cela contredit également les recommandations du Groupe de travail sur l’adoption coutumière en milieu autochtone, qui recommande plutôt que l’enfant puisse conserver un lien de parenté avec sa famille d’origine afin de mieux refléter l’éventail des coutumes autochtones.
La tutelle supplétive : une seconde forme de reconnaissance
Pour pallier ce problème, une nouvelle disposition a été inscrite au Code civil : celle de la « tutelle supplétive ». Elle vise à mieux refléter la diversité des coutumes familiales de toutes les nations. Comment? Le principe est simple : les parents d’un enfant mineur peuvent désigner une personne à qui déléguer l’autorité parentale lorsqu’il leur est impossible d’exercer pleinement ces responsabilités. Elle permet donc à un proche de l’enfant d’agir comme le ferait un parent, avec tous les devoirs et responsabilités que cela implique.
« La tutelle supplétive comme seconde forme de reconnaissance adoucit le choix vraisemblablement sévère qui se dessinait naguère entre opter pour le moule de l’adoption ou composer avec l’invisibilité juridique. » (Robert Leckey, professeur de droit à l’Université McGill)
Contrairement à l’adoption à proprement parler, la tutelle supplétive n’a pas à être signalée au directeur de l’état civil, puisqu’elle ne modifie pas la filiation de l’enfant.
Une reconnaissance qui plaît à tout le monde?
Pourquoi l’État québécois ne reconnaissait-il pas l’adoption coutumière? Réponse courte : pour répondre à l’intérêt de l’enfant. Par contre, un petit problème survient : l’intérêt de l’enfant n’a pas la même signification pour tous. En droit québécois, ce critère englobe le bien-être et les droits de l’enfant lui-même. Cette définition est bien loin de celle des peuples autochtones, qui le considèrent plutôt dans sa dimension collective.
« En milieu autochtone, la notion d’intérêt englobe l’intérêt de la famille, de la communauté et de la nation et vise notamment la protection de l’identité, de la culture, des activités traditionnelles et de la langue. » (Groupe de travail sur l’adoption coutumière en milieu autochtone)
Certains juges et intervenants du service de protection de la jeunesse s’inquiètent : l’adoption coutumière respecte-t-elle le meilleur intérêt de l’enfant? Leckey rappelle que ce critère diffère selon les cultures; les deux visions sont donc légitimes.
« Que l’interprétation de l’intérêt de l’enfant autochtone par le juge étatique ait peu à voir avec celle qu’en feront les Autochtones ne serait pas le signe d’une erreur d’une part ou de l’autre, mais plutôt l’indice « des différences entre les cultures dans lesquelles s’inscrit ce principe en apparence commun« . » (Robert Leckey, professeur de droit à l’Université McGill)
S’adapter au changement
Le gouvernement a adopté le projet de loi 113 après plusieurs années de travail avec les peuples autochtones. Une avancée importante : pour la toute première fois, le système juridique reconnaît légalement les pratiques culturelles de ces communautés. Qui dit changement dit adaptation, ce qui est plus facile à dire qu’à faire! Les juges devront notamment reconnaître la nature distincte de l’adoption coutumière et la légitimité des pratiques autochtones. Puisque les tribunaux ont longtemps nié les effets de l’adoption coutumière, il est possible que le système juridique soit réticent à un tel changement.
Les familles autochtones utiliseront-elles les nouvelles dispositions qui leur sont offertes? Encore trop tôt pour le dire. Jusqu’à présent, très peu de chercheurs se sont penchés sur la perception des parents et des enfants autochtones ayant eu recours à l’adoption coutumière depuis la mise en place de la nouvelle loi. Ont-ils fait face à des embûches? Ce changement leur a-t-il été utile? Face à des enjeux tels que l’adoption, la filiation, la protection de l’enfance , leur point de vue permettrait de dresser un portrait plus juste des retombées de ce changement juridique sur leur quotidien.
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[1] Groupe de travail sur l’adoption coutumière en milieu autochtone (2012). Rapport du groupe de travail sur l’adoption coutumière en milieu autochtone, ministère de la Justice du Québec et ministère de la Santé et des Services sociaux, p. 40-41.
[2] Therrien Pinette, Jean-Claude (2017). Adoption coutumière : les élus des communautés de la Nation Innue se réjouissent de l’adoption du projet de loi 113, Innu Takuaikan Uashat Mak Mani-Utenam (ITUM). Adresse URL : https://www.newswire.ca/fr/news-releases/adoption-coutumiere–les-elus-des-communautes-de-la-nation-innue-se-rejouissent-de-ladoption-du-projet-de-loi-113-628894623.html