Vous considérez-vous comme un bourreau de travail? Vous inquiétez-vous du fait que vous ne consacrez pas assez de temps à votre famille ou à vos amis? Vous sentez-vous pris dans un tourbillon de responsabilités? Si vous avez répondu « oui » à l’une ou l’autre de ces questions, vous n’êtes pas une exception! Plus d’un Québécois sur sept (14 %) ressent une forte pression relative au manque de temps.
Mais qui sont ces Québécois en manque de temps? L’auteure de cette étude s’intéresse aux caractéristiques sociodémographiques (âge, sexe, emploi, etc.) des personnes les plus affectées par le phénomène. Elle dresse le portrait de cette population à partir des données de l’Enquête sociale générale (ESG) de 2015. Au total, 17 390 Canadiens de quinze ans et plus ont répondu à cette enquête, dont 3472 Québécois.
Les participants devaient répondre par « oui » ou « non » à dix énoncés relatifs à la perception du temps (tableau 1). L’auteure s’intéresse aux personnes ayant obtenu un score d’au moins 7 sur 10, c’est-à-dire celles considérées comme ressentant une forte pression liée au manque de temps.
Tableau 1. Perceptions à l’égard du manque de temps des Québécois, 2015
Parents pressés, mères débordées
De nombreux parents courent toute la journée pour accomplir leurs responsabilités : préparation des repas, supervision des devoirs, rendez-vous médicaux, activités parascolaires, etc. Un parent sur cinq dit ressentir une « forte pression » liée au manque de temps.
Fait étonnant : les chefs de famille monoparentale ne se distinguent pas des parents en couple à ce chapitre. Autrement dit, ils ne seraient pas plus nombreux à être tendus que les autres! C’est plutôt le genre qui fait la différence : le quart des mères (24 %) se sentent débordées contre 15 % des pères. Fait encore plus étonnant : contrairement à ce que l’on pourrait penser, les mères monoparentales sont moins stressées par le temps que les mères en couple, soit 20 % contre 26 %!
Avoir un enfant en bas âge à la maison
L’âge de l’enfant a aussi un impact. Environ 14 % des parents avec un ou des enfants de 15 ans ou plus se sentent débordés, une proportion qui double (28 %) chez les parents d’enfant(s) en bas âge (moins de 5 ans). Cela s’explique, entre autres, par la diminution du nombre d’heures dédiées aux soins des enfants (hygiène, éducation, jeu) au fur et à mesure qu’ils grandissent.
Qu’elles soient en couple ou pas, ici aussi, les mères d’enfant(s) en bas âge se sentent davantage tendues que les pères (34 % contre 21 %). Cette différence s’estompe toutefois chez les parents d’enfants plus vieux.
Les femmes et le travail non rémunéré
De manière générale, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à ressentir une forte pression liée au manque de temps. Ces résultats font écho à d’autres études qui ont démontré que les femmes effectuent davantage de travail non rémunéré, telles que les tâches domestiques, que les hommes.
Préparation des repas, entretien de la maison et lessive… Le caractère obligatoire et répétitif de ces tâches serait particulièrement contraignant pour les femmes, qui disposent, en conséquence, de moins de temps libre que les hommes.
D’après les écrits scientifiques récents, les papas d’aujourd’hui sont beaucoup plus investis que ceux d’hier auprès de leurs enfants, et sont en voie de rattraper les mères à ce chapitre. Cependant, un déséquilibre important persiste du côté des tâches ménagères.
Les adultes de 25 à 54 ans ont davantage d’obligations
Les adultes de 25 à 54 ans ressentent particulièrement le manque de temps : 21 % d’entre eux contre seulement 13 % des 15 à 24 ans. Après 55 ans, la proportion de personnes tendues par le temps chute radicalement (6 % chez les 55 à 64 ans, 3 % chez les 65 ans et plus).
Graphique 1. Proportion des Québécois percevant une forte pression liée au manque de temps selon l’âge, 2015
Bien entendu, ces différences peuvent être expliquées par les obligations associées à chacune des étapes de vie. Entre 25 et 54 ans, les gens sont plus susceptibles d’être sur le marché du travail ou d’avoir de jeunes enfants à la maison, alors que les personnes de 65 ans et plus sont généralement retraitées et ont donc davantage de temps libre.
Travailler à temps plein
Le nombre d’heures travaillées affecte l’impression de se sentir surchargé. Seulement 12 % des travailleurs à temps partiel (moins de 30 heures par semaine) ont cette impression contre 22 % de ceux cumulant plus de 40 heures par semaine. Encore une fois, les travailleuses à temps plein sont plus nombreuses que leurs homologues masculins à ressentir fortement la pression du temps.
Graphique 2. Proportion des Québécois percevant une forte pression liée au manque de temps selon le nombre d’heures travaillées, 2015
Cumuler les obligations
Selon cette étude, les adultes de 25 à 54 ans, les parents de jeunes enfants et les travailleurs à temps plein sont les plus dérangés par le manque de temps. Que se passe-t-il lorsqu’un individu réunit plusieurs de ces caractéristiques « typiques »?
Ça dépend du genre! Les hommes semblent à peine affectés. Chez les femmes, c’est tout le contraire : plus elles cumulent d’obligations, plus elles ressentent de pression (graphique 3).
Graphique 3. Proportion des Québécois percevant une forte pression liée au manque de temps selon le sexe et l’accumulation des caractéristiques typiques, 2015
Comme on le soulignait ci-dessus, les mères assument généralement davantage de tâches domestiques que les pères, ce qui pourrait expliquer pourquoi, si elles travaillent à temps plein, elles ressentent fortement la pression du temps.
Peut-on parler d’équité?
D’emblée, les femmes sont plus susceptibles que les hommes de se sentir pressées par le temps, puisqu’elles assument davantage de travail non rémunéré. Lorsqu’elles cumulent les obligations, leur impression de manquer de temps grimpe en flèche, ce qui n’est pas le cas chez les hommes. La « charge mentale », un principe de sociologie, pourrait-elle permettre de mieux comprendre ce phénomène?
La charge mentale toucherait davantage les femmes, puisqu’elles sont généralement responsables de planifier et d’assurer le bon fonctionnement du foyer. Autrement dit, la charge mentale, c’est le fait de constamment penser aux tâches à accomplir : faire la liste d’épicerie, prendre les rendez-vous, inscrire les enfants aux activités, trouver une gardienne ou un médecin de famille… Un concept qui mériterait d’être davantage pris en compte lorsqu’il est question d’égalité au sein du couple.