Laure et Laurent forment un couple stable, mais ne souhaitent pas se marier. Ils décident d’emménager ensemble dans la maison de Laurent. Deux ans plus tard, la petite Laurette voit le jour!
Comme presque deux bébés sur trois[1] au Québec, Laurette naît donc hors-mariage. Puisque ses parents se présentent publiquement en tant que couple, cohabitent depuis plusieurs années et partagent les dépenses du foyer, ils sont conjoints « de fait ». Ils ne sont pas les seuls, le Québec est reconnu comme la province championne de l’union libre! Pourtant, le Code civil du Québec ne leur accorde aucun statut légal. C’est-à-dire que, contrairement aux couples mariés ou unis civilement, ils ne bénéficient pas de protections automatiques en cas de rupture ou de décès d’un des conjoints. À moins d’avoir signé un contrat, ils n’ont aucune obligation l’un envers l’autre (ils peuvent néanmoins demander une pension alimentaire pour enfant). Laurette, elle, n’a pas choisi cette situation. En théorie, tous les enfants sont égaux et ont les mêmes droits, quel que soit le statut conjugal de leurs parents. En pratique, on traiterait différemment les enfants nés de conjoints de fait.
C’est, en tout cas, ce que défend l’auteure de cette étude. En écho aux débats d’actualité qui entourent l’union libre, elle s’appuie notamment sur la fameuse affaire Eric v. Lola et sur le rapport du Comité sur le droit de la famille[2], pour proposer une analyse critique du traitement juridique de l’union de fait. Selon elle, l’exclusion des conjoints de fait de la plupart des mesures de protection de la famille prévues dans le Code civil a d’importantes répercussions sur les enfants.
Présumé papa
Dans le cas où une femme donne naissance dans le cadre d’un mariage, la loi considère automatiquement que le conjoint est le père du bébé. C’est ce qu’on appelle la présomption de paternité.
Mais ça ne marche pas pour Laure et Laurent! Comme ils sont conjoints de fait, la présomption ne s’applique pas. Laurent doit donc lui-même se déclarer père de Laurette, et Laure ne peut le faire à sa place. Si, pour une raison ou pour une autre, le nom du père n’apparaît pas sur l’acte de naissance de l’enfant, la situation peut devenir épineuse.
Dans le cas où Laurent décède avant l’accouchement, Laurette se trouve légalement sans papa. Elle ne peut donc pas porter son nom, ou devenir son héritière. Pour pouvoir établir la filiation, il faudra lancer des procédures judiciaires.
Pas de papa du tout?
La présomption de paternité fonctionne aussi pour les enfants qui naissent par procréation assistée, dans le cas d’un couple marié. C’est aussi valable pour les couples homosexuels : lorsque deux femmes mariées y ont recours, on peut même parler de présomption de co-maternité.
Mais comme la présomption ne s’applique pas aux couples en union libre, le père doit déclarer sa filiation, dans une situation potentiellement plus complexe. Que se passe-t-il si, par exemple, le couple a eu recours à un don de sperme? Comme aucun lien biologique ne le relie à Laurette, en cas de pépin, il n’y a pas de réclamation possible. Légalement, Laurette aurait seulement une maman.
Pas de filiation, pas de pension
Les enfants ont tous des droits fondamentaux, comme d’être nourris et éduqués par leurs parents, et de devenir leurs héritiers (à moins qu’ils aient rédigé un testament différent).
Lors d’une rupture, que le couple ait été marié ou en union libre, l’un des conjoints peut demander une pension alimentaire pour enfant. Le montant alloué dépend du temps de garde et des revenus de chacun des parents. Si Laurent a déclaré sa paternité, tout va bien. Mais dans le cas où ça n’aurait pas été fait, Laure ne peut pas demander de pension alimentaire pour enfant.
Il en va de même pour l’éducation : si Laurent ne figure pas sur l’acte de naissance de Laurette, légalement, il n’a pas de devoirs parentaux.
Des inégalités cachées
D’autres inégalités « cachées » existent entre les enfants issus de couples mariés et ceux qui sont nés hors mariage.
En cas de divorce, le juge peut décider qu’un des conjoints doit verser une pension alimentaire à l’autre (par exemple, lorsque la conjointe a cessé de travailler pour s’occuper des enfants durant leur union). Pour Laure et Laurent, il n’existe aucune obligation de ce genre. S’ils se séparent, et que Laure a la garde principale de Laurette, elle court le risque de se retrouver dans une situation économique difficile.
Les couples mariés bénéficient aussi de certaines protections par rapport au lieu de résidence. Par exemple, le tribunal peut permettre au conjoint le moins fortuné d’occuper la résidence familiale pour y élever les enfants. Dans le cas d’une union de fait, ces protections n’existent pas. Si Laure et Laurent vivent une séparation conflictuelle et que Laurent décide de revendre la maison familiale, dont il est légalement propriétaire, Laure n’a aucun recours pour l’en empêcher. Elle ne peut pas non plus demander à recevoir une partie des gains de la vente.
Dans ces deux cas, Laurette, par ricochet, subit les conséquences de cette rupture : puisque ce sont majoritairement les mères qui obtiennent la garde des enfants, si le niveau de vie de Laure baisse, celui de Laurette aussi et ce, en dépit de la pension alimentaire pour enfants.
Réformer les politiques familiales
Certains juges ont constaté les inégalités de traitement que subissent les enfants en raison du statut matrimonial de leurs parents. Ils ont essayé d’en minimiser les effets négatifs, en interprétant le Code civil de façon à donner la priorité aux droits des enfants. Par exemple, des juges ont accepté d’accorder l’usage de la résidence familiale au conjoint de fait qui avait la garde des enfants, durant la période de mise en vente.
Selon l’auteure, même si ces efforts sont louables, il faut faire plus et repenser le droit de la famille québécoise. D’après elle, plutôt que de se concentrer sur le statut conjugal des parents, on devrait placer l’enfant au centre des politiques familiales. Les familles d’aujourd’hui prennent de multiples formes mais, en pratique, elles sont souvent confrontées aux mêmes enjeux, surtout si elles ont des enfants.
Pourtant, centrer le droit de la famille sur les enfants soulève une interrogation : ceux qui n’ont pas de projet parental… n’en sont-ils pas moins des familles? Les couples sans enfants seraient-ils les grands oubliés du projet de réforme des politiques familiales québécoises?
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[1] Au Québec, en 2017, 62,6 % des enfants sont nés hors mariage. Source : Institut de la statistique du Québec, 2018
[2] Comité consultatif sur le droit de la famille, Alain Roy (prés.), Pour un droit de la famille adapté aux nouvelles réalités conjugales et familiales, Québec, Ministère de la Justice du Québec, 2015.