Depuis la fin du XXe siècle, dans les pays occidentaux, l’éducation et les soins aux jeunes enfants sont de plus en plus souvent partagés avec des personnes hors du cadre familial. Dès les années 1990, le gouvernement québécois a mis en place un réseau de services de garde subventionné. En 2009, au Québec, plus de 9 familles sur 10 avec des enfants de moins de cinq ans, avaient recours à la « garde non parentale ». Comment les parents choisissent-ils le mode de garde? Comment vivent-ils cette garde partagée? Quelle valeur accordent-ils à la participation des éducatrices et des gardiennes[1] à l’éducation de leurs bambins ?
L’auteure de cette étude a mené 49 entrevues auprès de 53 parents (11 hommes, 42 femmes, dont 4 couples) d’enfants de moins de 5 ans, résidant dans la municipalité régionale de comté (MRC) de Rimouski-Neigette.
À qui confier son enfant ?
Le réseau de services de garde à contribution réduite bénéficie d’un soutien financier de l’État. Ce soutien permet de proposer des tarifs accessibles à la majorité des familles : la contribution de base est de 7,75 $ par jour, par enfant, à laquelle s’ajoute une contribution modulable selon le revenu des parents. Le réseau comprend trois types de structures.
Les CPE (centres de la petite enfance) peuvent compter jusqu’à 80 enfants répartis par groupes d’âge. Ces établissements à but non lucratif suivent tous le programme pédagogique établi par le ministère de la Famille et des Aînés, et emploient du personnel dûment qualifié.
Les garderies en « milieu familial » ont des effectifs beaucoup plus réduits : un maximum de six enfants si la responsable s’en occupe seule; neuf, si quelqu’un l’assiste. Comme les CPE, ces garderies sont subventionnées et suivent le programme du ministère. Les responsables en service de garde (RSG) en assument seules les responsabilités administratives, alimentaires, hygiéniques et pédagogiques.
Des garderies privées, à but lucratif, existent également. Elles ne sont pas toutes subventionnées. Le gouvernement accorde des crédits d’impôt aux parents qui les utilisent. Elles doivent obtenir un permis du ministère de la Famille, mais sont plus libres dans leur organisation que les deux précédentes.
Le service idéal
Les parents sélectionnent avec soin le service de garde de leurs enfants. Les participants à l’étude ont présenté les critères qui leur permettent d’évaluer le travail des éducatrices et des gardiennes.
En premier lieu, il est primordial que l’enfant puisse construire des liens « significatifs », rassurants, affectifs, avec la personne qui s’occupe de lui.
Ils cherchent aussi quelqu’un qui partage les mêmes valeurs éducatives qu’eux. Cela leur donne l’impression que la garderie devient une sorte de prolongement de l’environnement familial.
« C’est les mêmes valeurs, le même encadrement, le même amour. Alors pour nous, c’est des personnes vraiment significatives et pour les enfants aussi. » (Femme 26, milieu familial)
Un autre élément important: la présence d’un intermédiaire qui valide la qualité des lieux et du travail des intervenantes. Le ministère de la Famille assure l’encadrement des établissements titulaires d’un permis. Dans le cas des CPE, les parents font plus facilement confiance aux éducatrices, qui sont toujours entourées de collègues.
Les parents souhaitent aussi bénéficier d’une certaine souplesse dans l’utilisation des services de garderie. Selon leurs engagements professionnels, les dates de leurs vacances, ou encore l’arrivée d’un nouvel enfant, ils veulent pouvoir adapter à leur guise les périodes de fréquentation.
Comme à la maison
À première vue, les garderies en milieu familial paraissent rassurantes aux yeux de plusieurs parents. L’enfant côtoie toujours la même gardienne et le groupe est relativement réduit, ce qui permet une routine quotidienne plus souple que dans les CPE, plus adaptée aux particularités de chacun.
« Moi, les rentrer dans un groupe [d’enfants plus nombreux dans un CPE] […] tu sais, le côté institutionnel, là, ça me dérangeait plus, là. – E. : Vous préférez une sorte de continuité du milieu familial ? – R : Oui, c’est ça. » (Femme 32, milieu familial)
En revanche, certains expliquent que la qualité du service dans les garderies en milieu familial est difficile à surveiller et évaluer : les activités, l’alimentation, le comportement de la gardienne avec les enfants peuvent varier énormément d’un endroit à l’autre. Les parents craignent également les complications causées par les fermetures de la garderie. Ils sont obligés de prendre leurs vacances aux mêmes périodes que la gardienne, ce qui peut s’avérer totalement incompatible avec leurs engagements professionnels.
Les utilisateurs de CPE apprécient le fait que l’établissement soit ouvert toute l’année et font plus facilement confiance aux éducatrices, dont la compétence est reconnue. En CPE, les éducatrices ne sont pas responsables du ménage, de la préparation des repas, bref de l’organisation. Elles peuvent donc s’investir pleinement auprès des enfants.
« Au début j’hésitais [à accepter la place au CPE pour mon enfant encore à naître] parce que je voyais ça comme une usine à bébés. Mais la pouponnière est aussi très bien. Elles sont assez maternelles et affectueuses avec les enfants. » (Femme 11, CPE)
Tout comme cette participante, certains parents se méfient des CPE, qu’ils voient comme des « usines à bébés ». On y traiterait les enfants, trop nombreux, de manière impersonnelle, et dans un cadre rigide. Quelques-uns font la distinction selon l’âge : à partir de trois ou quatre ans, il serait bon pour les enfants de s’habituer à des horaires structurés et à fréquenter de plus grands groupes, en prévision de leur entrée à l’école.
Les places sont chères
Les parents qui trouvent rapidement un service de garde qui leur convient s’estiment chanceux. Les places sont limitées, les listes d’attente sont longues. Pour ceux qui ont un emploi du temps serré, cela laisse peu de marge de manœuvre. Certains, souvent la mère, disent même attendre de trouver une place en garderie avant de se lancer activement à la recherche d’un emploi. Ceux qui ne peuvent pas attendre se contenteront de la première place disponible.
« Les grands-parents sont là pour le gros fun »
Les témoignages soulèvent une autre dimension intéressante : la participation des grands-parents. À première vue, confier les enfants à leurs grands-parents devrait répondre aux critères de choix du mode de garde. Mais d’après les répondants, les grands-parents ont avant tout un rôle ludique et affectif plutôt qu’autoritaire ou éducatif.
« H : Nos parents, on ne les a pas trop “mis” dans l’éducation. — F : Non. Ils sont là dans le plaisir eux autres. Les grands-parents sont là pour le “gros fun”. » (Couple 1, CPE)
Quelle que soit la personne à qui ils confient leur enfant, les parents revendiquent fortement la prévalence de leur autorité; l’éducatrice comme le grand-parent doit partager les mêmes valeurs éducatives.
« C’est mamie puis papi, c’est là pour gâter puis tout ça — mais je pense qu’il y a […] une certaine limite qu’il ne faut pas qu’ils dépassent par rapport à ce que les parents ont décidé. » (Femme 8, CPE)
D’après cette étude, les grands-parents représentent rarement le mode de garde principal, et lorsqu’on fait appel à eux, ils doivent se soumettre aux directives parentales. Ce constat est surprenant et suggère qu’il pourrait être intéressant de s’interroger sur l’évolution du rôle des grands-parents au sein de la famille au Québec. La façon dont les aînés conçoivent l’éducation des enfants entrerait-elle en conflit avec les valeurs éducatives des générations plus jeunes?
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[1] L’auteure emploie les termes « éducatrices » pour désigner les professionnelles qui travaillent dans les centres de la petite enfance (CPE) et « gardiennes » pour les responsables en service de garde (RSG), qui accueillent les enfants en milieu familial. Les termes sont féminisés, car la grande majorité de ces personnes sont des femmes.