L’importance du rôle du père dans l’éducation des jeunes enfants a été reconnue progressivement depuis les années 1970 au Québec. Par exemple, la participation du père aux jeux des jeunes enfants, particulièrement les jeux physiques et jeux de bataille, faciliterait l’apprentissage de certaines habiletés sociales et de la régulation des émotions agressives. Autrement dit, l’engagement paternel, sans oublier celui de la mère, pourrait freiner l’apparition de problèmes comportementaux chez les enfants.
Un groupe de chercheurs en psychoéducation rattachés à différentes universités québécoises a étudié les effets de la participation du père à un programme de prévention des comportements difficiles chez l’enfant en âge préscolaire. L’objectif : évaluer l’amélioration des pratiques parentales et la diminution des difficultés de comportement chez l’enfant dans les familles où les deux parents participent, comparativement aux familles où seule la mère participe au programme.
Pratiques paternelles : des résultats mitigés
Contrairement aux attentes, les pratiques éducatives des pères qui ont participé au programme ne se sont pas améliorées. Par contre, les pratiques des pères qui n’ont pas suivi la formation se sont détériorées, notamment sur le plan de la qualité de leur engagement envers l’enfant. La participation des pères au programme a donc joué un rôle préventif en limitant une éventuelle détérioration de leurs relations et de leurs pratiques éducatives.
Ce résultat mitigé peut s’expliquer par des problèmes de méthodes de l’enquête. Jusqu’à présent, peu d’outils spécifiques ont été développés pour évaluer les pratiques parentales des pères, contrairement à celles des mères. Par exemple, le jeu de l’épicerie utilisé pour observer le duo mère-enfant a déjà été testé et a fait ses preuves plusieurs fois; il permet de bien mettre à l’œuvre les capacités relationnelles du parent. Ce n’est pas le cas pour les jeux de construction utilisés dans cette étude pour observer le duo père-enfant.
Méthode
« Fluppy » est un programme de prévention de la violence et du décrochage scolaire qui vise les enfants présentant des difficultés de comportement à la maternelle. Les difficultés sont, par exemple, des conduites agressives, de l’opposition, de l’hyperactivité et des crises de colère. Les enfants ont été évalués avant et après le programme à l’aide de questionnaires complétés par les parents et par l’enseignante.
Un volet de ce programme est destiné aux parents afin de les aider à mieux comprendre les besoins de leur enfant, à promouvoir leurs compétences parentales, à réduire leur stress et à leur offrir du soutien social. Les parents assistent à 6 séances de 2 heures sur 4 mois.
Les pratiques parentales regroupent les différents moyens adoptés par les parents pour éduquer et socialiser leurs enfants, par exemple l’engagement, l’encouragement à l’autonomie, le contrôle sur l’enfant, etc. Les pratiques ont été évaluées au début et à la fin du programme par observation d’une situation de jeu en laboratoire. Les jeux sont suffisamment compliqués pour que l’enfant doive solliciter l’aide de son parent : un jeu d’épicerie pour le duo mère-enfant, un jeu de construction pour le duo père-enfant.
Trois groupes ont été formés :
- les deux parents ont participé au programme;
- seule la mère a participé au programme;
- ni la mère ni le père n’ont participé (groupe témoin).
L’échantillon est composé de 68 enfants, âgés de 5 ans et demi en moyenne, issus de familles de type biparental (le père et la mère sont tous deux engagés dans l’éducation de l’enfant). Les participants ont été recrutés entre les années 2002 et 2005 en trois cohortes annuelles successives parmi les élèves de maternelle d’une banlieue de Montréal.
L’apprentissage commun
Lorsqu’elles sont accompagnées par le père dans le cadre du programme, les mères améliorent plusieurs de leurs pratiques éducatives, notamment la qualité du contrôle sur l’enfant et l’usage d’approbations et de félicitations. Elles ont aussi établi un partenariat plus efficace avec l’enfant. Par contre, les pratiques éducatives des mères seules et de celles qui n’y ont pas participé se sont détériorées.
Ces écarts s’expliquent par la présence ou l’absence d’un apprentissage commun entre les parents. Les parents qui participent tous deux au programme s’encouragent et se soutiennent mutuellement; ils poursuivent la discussion autour de leurs pratiques éducatives entre les séances de formation. Bien que le programme soit de courte durée, ils maximisent ainsi le temps consacré à de nouveaux apprentissages, ce qui n’est pas le cas des mères seules. Ces dernières ne bénéficient pas du même soutien et éprouveraient des difficultés à transférer les apprentissages au père. De même, le fait que seule la mère participe au programme suppose une répartition traditionnelle des tâches dans le ménage (le père travaille et la mère s’occupe des enfants), ce qui peut impliquer une plus grande réticence à modifier les pratiques éducatives.
Le programme Fluppy comporte un volet destiné spécifiquement aux enfants. Dans le cadre de cette étude, tous les enfants avaient amélioré leur comportement à la fin de la formation. Cependant, la participation (ou non) du père au programme n’a eu aucun impact sur ce résultat, ce qu’on explique par la courte durée de l’étude. Les deux mesures ont été prises à 4 mois d’intervalle, un délai « sans doute trop court pour que les changements positifs des pratiques parentales se répercutent sur le comportement de l’enfant ». De plus, d’autres études ont montré la nécessité d’une intervention intense pour obtenir des résultats probants, alors que le programme « Fluppy » n’offre que 6 séances aux parents.
L’importance de l’engagement des pères dans l’éducation des jeunes enfants n’est plus à démontrer, y compris dans une perspective de prévention des troubles de comportement. Cette étude soulève toutefois la nécessité de développer des outils d’analyse spécifiques aux pratiques éducatives des pères.