On l’a dit et redit : la famille québécoise d’aujourd’hui est fort différente de celle d’il y a 50 ans. Sa structure, sa composition, ses codes, tout a changé. Le rôle de chacun des membres de la famille a aussi évolué : les femmes ne sont plus confinées au foyer, et les hommes participent de plus en plus aux soins des enfants et, bien que dans une moindre mesure, aux tâches domestiques. La grand-parentalité a aussi connu diverses mutations. Celle des baby-boomers se démarque radicalement de celle des générations antérieures. Pour les « grands-parents gâteau » d’aujourd’hui, la relation avec les petits-enfants est fondée sur le plaisir.
Pour brosser le portrait de cette nouvelle grand-parentalité, Ignace Olazabal, professeur associé au département d’anthropologie de l’Université de Montréal, a rencontré 34 grands-parents (21 femmes et 13 hommes) nés entre 1943 et 1951. Ces baby-boomers sont issus des communautés d’origines canadienne-française, italienne et juive ashkénaze de Montréal. Voici comment ils perçoivent leur rôle de grands-parents, en comparaison avec leur propre expérience de petits-enfants il y a un demi-siècle.
Les grands-parents des grands-parents
« Chez mon grand-père, le dernier gros party, il y avait 101 descendants… ». Le portrait brossé par les baby-boomers rencontrés est celui d’un Québec aux familles nombreuses, au sein desquelles grouillait une importante marmaille. Les rencontres entre grands-parents et petits-enfants étaient le plus souvent confinées aux jours de fête. Les liens entre grands-parents et petits-enfants demeuraient relativement distants : avec des dizaines de petits-enfants, impossible d’établir une relation profonde avec chacun d’entre eux! Malgré cette distance, les baby-boomers parlent de leurs grands-parents comme des personnes aimantes, dont le charme se traduisait parfois… en petits biscuits distribués lors des visites.
Lorsque les parents des baby-boomers sont à leur tour devenus grands-parents, ils ont incarné une grand-parentalité de transition et de rupture, entre la grand-parentalité traditionnelle et celle d’aujourd’hui. Ils ont vécu la hausse des divorces et des remariages, la distanciation face à l’Église et l’entrée des femmes sur le marché du travail. C’est donc dans une société nouvelle que les baby-boomers ont ensuite pris les rênes de la grand-parentalité.
Les baby-boomers : des « grands-parents gâteau »
Les familles sont plus petites et les grands-parents vivent plus longtemps. Forcément, la nouvelle grand-parentalité ne se vit plus comme avant et la place que prennent les grands-parents au sein d’une famille a aussi changé. Les baby-boomers entretiennent des liens plus intimes avec leurs petits-enfants, et la relation est fondée sur le plaisir plutôt que l’éducation.
Avec le taux de divorce élevé et celui des secondes alliances qui l’est tout autant, les grands-parents voient souvent apparaitre de « nouveaux » petits-enfants d’adoption plutôt que de sang. On assiste, selon les mots de l’auteur, au phénomène de la multi-grand-parentalité, un phénomène vécu avec peut-être plus d’aisance par les petits-enfants que par les grands-parents.
« [L]es enfants nous disaient : ‘’Là, on est allé chez grand-maman, grand-maman… Bien t’sais, ma grand-mère, la mère de mon père…’’ Regarde, ils étaient tout démêlés là-dedans, c’est nous qui avions de la misère. J’ai dit : ‘’Regarde, ces enfants-là ils sont habitués, ils le savent, ils ont un père. Et leur père a des parents, c’est leurs grands-parents.’’ Ils ont une mère et des grands-parents maternels et ils ont nous autres et on est tous des grands-parents. Et ils nous démêlent bien comme il faut. Alors je me dis, c’est nous qui nous inquiétons. »
Un rôle de pivot
Les baby-boomers jouent un rôle de pivot dans les relations familiales. Les parents étant souvent débordés par le travail et les tâches domestiques, les grands-parents prennent une bonne part de la responsabilité de la gestion des relations familiales, de l’organisation des réunions familiales jusqu’aux offres spontanées de gardiennage. Ce sont souvent eux qui prennent l’initiative des rencontres avec leurs petits-enfants, qui s’invitent et qui vont les chercher. Les rencontres sont fréquentes, ce qui permet le développement de plusieurs petits rituels propres à chacune des relations entre grand-parent et petit-enfant, comme des sorties au restaurant ou au cinéma.
Les baby-boomers connaissent ainsi « un vieillissement socialement productif afin de repousser la mort sociale », ce sentiment de ne servir à rien que plusieurs personnes âgées disent ressentir.
Le chercheur remarque cependant une différence importante entre les grands-parents d’origine italienne ou juive ashkénaze et ceux d’origine canadienne-française. Ces derniers refusent d’être trop fréquemment assujettis aux besoins de garde de leurs enfants. La culture dite méditerranéenne, dont sont imprégnés les grands-parents italiens et juifs, les porte plutôt à vouloir s’installer à proximité de leurs petits-enfants pour jouer ce rôle social de gardien et gardienne.
« Être une grand-mère, c’est juste d’avoir le fun… »
Malgré une proximité accrue avec leurs petits-enfants, les grands-parents ne désirent pas se mêler de leur éducation et respectent les consignes parentales. Ils préfèrent nettement le côté divertissant de leur relation. « I want to do the fun things », dit cette grand-mère d’origine juive. Dans la majorité des cas, ce rôle grand-parental est donc « dégagé de tout esprit d’autorité ».
Les grands-parents d’aujourd’hui sont loin d’être comme leurs propres grands-parents. Ils ont moins de petits enfants et entretiennent souvent des relations très serrées avec chacun d’eux. Exit le mode éducation, l’heure est au plaisir et au divertissement : place aux « grands-parents gâteau »! Par contre, les auteures constatent une fracture quant aux responsabilités des grands-parents. Si nul n’a envie de se voir confier l’éducation de leurs petits-enfants, les grands-parents d’origine italienne et juive sont beaucoup plus ouverts à assumer les tâches de gardiennage que les Canadiens-français. Le constat est-il le même chez tous les grands-parents de cette origine? Observerait-on une différence, par exemple, selon qu’ils vivent en région plutôt que dans la métropole?