Les situations de protection de l’enfance sont complexes, particulièrement quand il s’agit de mesures d’éloignement des parents, mises en place dans l’objectif de prévenir de potentiels abus. Une telle démarche suppose de pouvoir évaluer les compétences parentales de manière sûre et objective. Les tribunaux recourent donc aux services de différents experts, dont des médecins, des psychologues et des travailleurs sociaux. D’après les auteures, le témoignage de ces « experts » prend ainsi un véritable statut de preuve. Cette étude, fondée sur une revue de littérature et une analyse de la jurisprudence, questionne l’objectivité et la neutralité de ces évaluations.
Pas de consensus
D’après les auteures, « le recours aux experts judiciaires n’a cessé de s’intensifier », elles affirment pourtant que « la qualité de la preuve experte fait l’objet de nombreux débats ». L’impartialité et la neutralité des experts sont ici remis en question, comme la pertinence et la validité scientifique des outils d’évaluation utilisés.
Travailleurs sociaux, psychologues, psychiatres ont chacun leurs propres méthodes d’évaluation et définissent différemment les compétences parentales. Ces compétences sont au cœur de l’évaluation et donc des mesures qui peuvent être prises à l’encontre des parents jugés négligents. La littérature n’offre pas de définition précise ni de consensus sur ce que sont les compétences parentales. Dans cette étude, les auteures considèrent que « les compétences parentales seraient composées de différentes habiletés et connaissances de nature intellectuelles, relationnelles et comportementales ».
D’après les auteures, à ce jour, « aucune méthodologie particulière n’est officiellement reconnue pour évaluer les compétences parentales ».
Des faits ou des opinions?
Dans leur analyse, les auteures ont pris en compte les trois catégories d’experts qui interviennent le plus dans les décisions judiciaires en protection de l’enfance : les psychologues, les psychiatres et les travailleurs sociaux. Ces experts ne sont pas toujours adéquatement formés ni suffisamment encadrés par leur ordre professionnel (guides éthiques, outils d’évaluation, etc.) pour être en mesure d’évaluer avec justesse le « manque » de compétences parentales qui pourrait porter préjudice à l’enfant.
L’Ordre des psychologues du Québec propose un guide d’expertise sur la « garde d’enfant ». Les auteures affirment cependant que la « la validité des tests psychologiques [utilisés dans le cadre de ces expertises] est fortement remise en question » par la littérature.
Les psychiatres, eux, ne disposent pas de guide d’expertise spécifique aux situations de protection de l’enfance, ni de « lignes directrices claires pour encadrer leurs évaluations ». Les auteures questionnent la qualité des évaluations des psychiatres, notamment à cause de leur tendance à « confondre des états cliniques avec des états légaux, par exemple la psychose et l’incapacité ».
Les travailleurs sociaux peuvent profiter de formations organisées par leur ordre professionnel. D’après les auteures, leurs évaluations sont « plus factuelles que celles des psychologues ou des psychiatres ». Néanmoins, la littérature scientifique remet aussi en question leur fiabilité, en raison d’un manque d’outils objectifs, mais aussi à cause du « jeune âge et [du] manque d’expérience (…) [des travailleurs sociaux] ».
D’après l’analyse de la jurisprudence effectuée par les auteures, les tribunaux ne questionnent pas souvent « les méthodes d’évaluation ou la compétence des experts ».
La mère « normale »
Les représentations sociales des experts quant au comportement parental « normal » influencent aussi les évaluations. D’après les auteures, l’absence d’une définition précise qui fasse consensus « [favorise] des interprétations subjectives et empreintes de moralisme ». Les critères définissant ce qu’est un comportement acceptable ou non, normal ou déviant, font « émerger une norme de la mère normale ». Une norme jugée simpliste par rapport aux situations vécues par les familles faisant l’objet de mesures de placement et de protection de l’enfance.
Face à l’autorité des experts et à la norme de la « mère normale » véhiculée par ces derniers, les mères peuvent difficilement faire valoir des compétences autres que celles qui sont implicitement attendues, et donc s’opposer aux évaluations effectuées. Dans la jurisprudence analysée par les chercheuses, aucune mère n’avait eu recours à une contre-expertise. Elles en ont « théoriquement » le droit mais d’après la littérature citée, « le coût financier, social et personnel reste difficile à assumer ».
Bien entendu, cette étude ne remet pas en cause la nécessité de l’existence des mesures de protection de la jeunesse. Elle questionne cependant les conséquences potentielles du sentiment d’infaillibilité et d’autorité scientifique trop souvent attribués aux experts.